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Thierry Moyne :
La rencontre inspirante entre vin et peinture

À la rencontre de

Malia Gnazale – 20 juin

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Thierry Moyne en action – Crédit P. Régaldi

Il y a quelques semaines, nous sommes allées à la rencontre de Thierry Moyne, artiste peintre. Lors de cet échange, il nous a confié l’importance du vin et de la matière dans son art.

• • • De l’agriculture à la cuisine

Thierry Moyne, artiste peintre du Jura, se distingue par sa méthode unique, où vin et peinture se rencontrent. « Je suis au cœur du vignoble et ma caractéristique, c'est que je pars des vins pour travailler la peinture. » explique-t-il.

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Vin jaune la Mailloche Stephane Tissot - Thierry Moyne

Il ne venait pas d’un milieu artistique et s'était préparé à être agriculteur, à avoir des vaches et une ferme… Mais pendant ses études agricoles, un de ses professeurs de français l'a encouragé à envisager un avenir différent, affirmant à ses parents : «Votre fils va voyager, voir autre chose, il est fait pour ça. » Cette révélation a marqué Thierry et l’a ouvert vers de nouveaux horizons et notamment vers l’art. À 19 ans, la rencontre avec sa femme, passionnée d’histoire de l’art, va d’autant plus le pousser à emprunter une voie artistique. Ces deux rencontres clés l’ont conduit vers le théâtre, l’animation, le spectacle vivant, et finalement, la cuisine.

Ce parcours éclectique a façonné une vision artistique unique.

• • • De la cuisine à l'art, une fusion de vin et de peinture

A l’âge de 23 ans il passe son CAP cuisine, travaille en restauration et à 28 ans, se forme sur la dégustation et la commercialisation de vins. En 1998, il ouvre un restaurant « La Balance mets et vins » à Arbois (Jura) et s’inspire des vins et des saisons pour faire son menu. Rapidement des artistes de la région exposent dans la salle du restaurant et influencent à leur tour les menus de l’artiste. En 2016, Thierry vend son restaurant et commence à exprimer le vin par des calligraphies. « Au départ, je prenais le vin, comme on utilise le thé en calligraphie, c’est-à-dire que je laissais macérer des papiers sur lesquels je faisais juste des gestes à l'encre » explique-t-il.

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Papier macéré de l’artiste et geste à l'encre
« En Barberon Pinot Noir 2003, Stéphane Tissot »

Sa rencontre avec la céramiste Françoise Cholé fut déterminante. « Elle ramassait ses terres, comme cela se faisait avant », se souvient-il. Inspiré par cette approche, Thierry, lui a proposé une idée audacieuse : « Si cela se trouve, le vin est meilleur dans de la terre plutôt que dans du verre. » Malgré le scepticisme initial, ils ont tenté l’expérience. Cette collaboration les a conduits à un projet pour l’événement « L’art se dévoile » à Château-Chalon, un village viticole du Jura célèbre pour ses marnes bleues (mélange naturel d'argile et de calcaire). L'idée était de créer un verre à partir de cette marne et de goûter le vin ainsi.  Lors de la récolte des terres, Françoise l’a encouragé à en ramener à l’atelier. « J'ai commencé à mélanger le vin et sa terre. Cela m’est apparu comme une évidence », raconte Thierry. Il a rapidement constaté les limites pratiques et artistiques de cette méthode, ce qui l’a conduit à suivre une formation sur les techniques naturelles où il mit son expérience de cuisine au service de la conception de matières picturales. 

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Palette Géologique – Thierry Moyne

Il a également collaboré avec des artistes locaux, dont Éric Mourez, qui l’a incité à se lancer dans la peinture et lui a appris à dessiner en un an grâce à la méthode intuitive « dessiner avec le cerveau droit » de Betty Edwards.

Petit à petit, la peinture a pris le pas sur la cuisine, permettant à l’artiste de se consacrer pleinement à son art. Pour lui, la cuisine, bien que créative, reste de l’artisanat d’art nécessitant une constante adaptation aux attentes des convives, tandis que la peinture lui offre une liberté sans fin pour explorer et repousser les limites de son expression artistique. « En art, on peut aller toujours plus loin dans ce qu’on fait. »

Thierry Moyne a su faire évoluer sa pratique culinaire en une véritable démarche artistique, en créant des médiums naturels. Ses œuvres, nourries par cette alchimie entre vin, terre et texture, incarnent une quête incessante de vérité et d’authenticité.

• • • L'art de capturer l'énergie de la terre

Thierry Moyne, puise son inspiration dans sa relation avec la matière, notamment la terre et le vin. Pour lui, le vin capte l'énergie de la terre, une notion profondément ancrée dans la philosophie chinoise, présente dans le Taïchi et la peinture traditionnelle. « En Occident, nous avons du mal à capter cela », explique Thierry. L’idée de Thierry est de retranscrire cette énergie terrestre à travers son art. Utilisant le vin comme médium, il cherche à exprimer cette énergie vitale.

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Inspiré par le proverbe chinois : « On doit toujours connaître la source de l'eau qu'on boit », il travaille également sur un projet axé sur l'eau.

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Le Dérochoir 18 III 24 – Thierry Moyne (collection à base d’eau)

Ce qui l’intéresse, c’est le rapport avec des matières qui sont sources de vie, révélant ainsi la connexion fondamentale entre la terre, l'eau ou le vin dans ses œuvres. Pour approfondir ce rapport à la terre, Thierry cultive en amateur dix ares de vigne et produit un vin. Il utilise ce vin dans sa série Mon Ploussard.

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Mon Ploussard 2022 II -Thierry Moyne

En plus de la matière, le geste à l'encre est au cœur de son travail artistique, une technique perfectionnée grâce à l'influence de Fabienne Verdier. Il raconte comment Fabienne, à 25 ans, s'est rendue en Chine pour rencontrer des maîtres calligraphes. Un maître lui a demandé de produire des traits droits à l'encre pendant un an avant de lui dire : « Ton trait commence à vivre. » Cette histoire a fasciné Thierry, qui a décidé d'adopter cette discipline malgré ses responsabilités en tant que restaurateur et père de trois enfants. Utilisant du vinaigre balsamique réduit comme encre, il a fait des gestes calligraphiques chaque jour sur les bords des assiettes dans son restaurant, perfectionnant son art pendant 13 ans. Il a effectué entre 100 et 150 gestes par jour, développant une maîtrise qui se traduit désormais dans son corps et à travers la matière. Cette pratique quotidienne a permis à Thierry de transcender les limites de l'artisanat pour atteindre une expression artistique pure.

• • • Un processus de création intuitif et rigoureux

Son processus de création unique peut être initié par une commande de peinture. Dans ce cas, il choisit le vin avec son client, établissant un lien intime avec le produit. « Je me rends sur place, dans la vigne, dans la cave, je discute avec le vigneron, je me nourris de tout cela. » Cette phase initiale est cruciale pour lui, car il comprend le terroir. Ensuite, il laisse les choses marinées, sans précipitation. « Parfois, je peux commencer un projet en un an et demi, puis quelquefois, c'est en trois semaines, un mois. Ça, je ne peux pas le savoir avant», précise-t-il.

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Lorsque Thierry est prêt à peindre, il suit un rituel rigoureux : « Je jeûne, c'est une chose importante pour être vraiment disponible avec la matière. ». Il crée ensuite sa propre matière en utilisant des techniques naturelles, broyant et mélangeant terres, calcaires et cailloux avec le vin, ajoutant des liants naturels comme la caséine ou l’œuf.

La composition de cette matière est essentielle, déterminant les proportions entre le vin, le pigment et le liant. Une fois la matière prête, Thierry commence par de petits gestes à l’encre, qu’il agrandit progressivement.

Cette approche est influencée par la pensée chinoise et le Tao, où il ne met aucune intention précise dans son travail. « J’ai le format, mais je ne sais pas où je vais. Parfois, je pars d’un petit et je finis sur du grand. Le principe, c’est que je me laisse libre. J’attends d’être traversé par une vibration. »

Thierry Moyne insiste également sur l'importance d'un cadre spécifique pour son processus créatif. « Je crée en atelier, chargeant mon énergie avant, avec des processus bien définis » explique-t-il. Il utilise toujours la même musique, « The Kôln Concert de Kleith Jarret », pour éviter toute influence extérieure, car cette constance musicale fait partie intégrante de son rituel. Ces rituels permettent le passage de l'énergie du vin et de la terre dans ses œuvres. Changer de lieu ou de musique peut perturber ce processus en introduisant des éléments inattendus. « Même un simple changement de rythme musical peut influencer la manière dont mon corps interprète ce qu'il se passe, » dit-il.

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Photo dans l’atelier de l’artiste – Crédit Pascal Régaldi

Pour Thierry, la création artistique est un acte sacré nécessitant un cadre stable et des rituels précis, libérant ainsi l'énergie de la terre et du vin dans ses œuvres. Son art est une exploration intuitive et profonde de l’énergie, invitant à percevoir la beauté intrinsèque de la matière et la magie de l'instant présent.

• • • L'art de la dégustation impressionniste

L’artiste a développé une approche unique de la dégustation de vin qu'il appelle la « dégustation impressionniste ». Cette méthode est née de son travail sur l’accord mets et vin, et de ses réflexions en tant que cuisinier. « Je me suis rendu compte que la dégustation classique m’amenait sur quelque chose de très mental » explique-t-il.

Il a découvert que certains vins naturels, bien que peu agréables au nez, étaient excellents en bouche. Il a donc décidé de se concentrer sur la dégustation en bouche plutôt que sur l’odeur, laissant ses envies guider ses créations. Sa rencontre avec le neurobiologiste Gabriel Lepousez a été déterminante. Gabriel lui a suggéré le terme « dégustation impressionniste », comparant sa dégustation du vin à la manière de percevoir un tableau de Van Gogh. Il a dit : « Quand on voit un tableau de Van Gogh, on sait que c'est un Van Gogh, on ne commence pas à dire : Il y a du jaune, du bleu, du vert. Donc, le vin, quand on le sent avec le nez, c’est un peu comme si on commençait à définir les couleurs du tableau alors que, quand on le met directement en bouche, il y a quelque chose qui se crée. »

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Thierry Moyne lors d’un atelier dégustation

Thierry a développé cette méthode pour accroitre sa sensibilité au vin. « Ma réflexion générale passe par deux choses : raisonnement et résonance. » Cette approche, alliant art et science, offre une expérience sensorielle complète et innovante.

• • • L'Œuvre qui appartient au regardeur

Thierry adopte une approche profondément ancrée dans la pensée chinoise pour évaluer ses œuvres. Pour lui, l'œuvre d'art appartient au regardeur. « L'œuvre se sauve après. J’ai l’instant et c’est tout », explique-t-il. Cette philosophie met l'accent sur l'importance de se dégager de l'ego. Thierry crée dans l'instant. Les œuvres, pour lui, ne lui appartiennent pas ; elles prennent vie à travers les regards des autres. Ce dont il est le plus fier, c'est la diversité des personnes qui regardent et font vivre son travail, qu'il s'agisse d'enfants, d'adultes ou de collectionneurs. « Les œuvres sont toutes des histoires et je trouve qu’elles ne m’appartiennent pas », dit-il.

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Cul du Brey rouge – Thierry Moyne

Thierry a une approche unique concernant la signature de ses œuvres. Parfois, il signe, d’autres fois non, ou seulement au dos. « Si la signature ne vient pas dans l’acte de création, là, je ne signe pas », précise-t-il. Cette démarche reflète son engagement à laisser chaque œuvre s’exprimer pleinement sans l’imposer une identité fixe, permettant ainsi à chaque regardeur de s'approprier l'œuvre à sa manière.

• • • Sa première vente, synonyme de validation de sa pratique artistique

Pour Thierry Moyne, la vente d'une œuvre est essentielle, car elle permet de vivre de son art. La première vente auprès de collectionneurs a véritablement marqué l’artiste.

Entrer dans le milieu artistique n'a pas été facile pour Thierry. Après avoir vendu son restaurant, il a pu réunir le capital nécessaire pour se lancer pleinement dans ce métier. Cependant, l'acceptation par la communauté artistique a été un défi. « La première fois que des collectionneurs, qui venaient d’acheter de super tableaux à côté, ont acheté mes tableaux, ça m’a apporté une sorte de validation » explique-t-il.  Bien qu'il n'aime pas le mot « validation », cette expérience lui a montré que la porte était ouverte, marquant un tournant dans sa carrière et renforçant sa confiance en tant qu'artiste. 

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• • • La collaboration avec The Art Cycle 

Thierry Moyne, a commencé à travailler avec The Art Cycle il y a environ un an.

Il confie : « Ce qui m'a plu dans The Art Cycle, c'est que l’on sent tout de suite qu’il y a une relation très saine avec les artistes. Je pense qu’il y a vraiment quelque chose d’humain dans le rapport à l’art. La location d’œuvre pour les gens qui ne peuvent pas se payer l’œuvre revient au même prix, la galerie ne prends pas d’intérêt. Ça montre vraiment une éthique qui, moi, me parle beaucoup. »

« The Art Cycle a pu m'apporter un regard sur mon travail, sur ma professionnalisation, sur ma sortie du Jura, parce que justement j’ai commencé à exposer à Paris. » 

• • • Mot de la fin 

À travers son parcours artistique, Thierry Moyne a su capturer l'essence même de la matière, inspirant et émerveillant ceux qui ont la chance de contempler ses œuvres. Que ce soit à travers l’utilisation du vin, de la terre ou de ses gestes calligraphiques, l’artiste laisse une empreinte unique dans le monde de l'art.

The Art Cycle est ravie d’avoir des artistes comme Thierry.

Un grand merci à lui pour cet échange !

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