css templates

L'Art Aborigène Australien : héritage ancestral et voix contemporaine

HISTOIRE DE L'ART 

Mathilde Basse - 21 Novembre 2024

Mobirise

L'art aborigène australien est l'une des traditions artistiques les plus anciennes et les plus riches du monde, reflétant une culture profondément enracinée dans le sacré et le symbolisme. Cet article explore les différentes facettes de cet art, de sa définition à son rôle sur la scène internationale et comme moyen de revendication sociale.

• • • L’art aborigène australien 
Une tradition ancestrale

L'art aborigène englobe l'ensemble des expressions artistiques des peuples autochtones d'Australie, tant celles antérieures à la colonisation que celles des artistes contemporains influencés par leur culture traditionnelle. Les dernières estimations font remonter l’art aborigène à plus de 50 000 ans

Il est intrinsèquement lié au "Temps du Rêve" (Dreamtime), une période mythique durant laquelle la vie a été créée selon la culture aborigène. Le rêve est le mot utilisé pour expliquer comment la vie est apparue. ll s'agit des histoires et des croyances qui se cachent derrière la création. Il porte différents noms dans différentes langues aborigènes, comme Ngarranggarni ou Tjukula Jukurrpa.


Le mouvement artistique de la peinture aborigène contemporaine a véritablement émergé en 1971 dans la communauté de Papunya, au cœur de l’Australie. C’est Geoffrey Bardon, un enseignant britannique, qui encouragea les élèves de l’école locale à reproduire des motifs inspirés du Temps du Rêve, d’abord sur les murs, puis sur des panneaux et finalement sur des toiles. Ces œuvres rencontrèrent un tel succès que les Aborigènes décidèrent de se regrouper en coopératives pour commercialiser leurs peintures. Ces créations pionnières ont marqué l’entrée de l’art aborigène sur la scène artistique internationale.

Ngapa Water Dreamtime de Jillian Nampijinpa Brown

Mobirise
Une diversité d’expressions

Cet art englobe des peintures, gravures, sculptures, costumes cérémoniels, et même des performances orales et dansées, chaque forme ayant une fonction spirituelle et narrative. Il ne s'agit pas uniquement d'esthétique mais d'un langage codifié et sacré. En effet, ces gestes visent à actualiser l'esprit ancestral qui habite un lieu spécifique et à réactiver cette énergie créatrice. Ainsi, célébrer, peindre ou chanter un territoire exprime l'appartenance, entendue comme la responsabilité, d'un clan ou d'une personne envers cet espace. 


Les Aborigènes utilisent leur corps comme support artistique lors de cérémonies rituelles. Ils appliquent des motifs réalisés à partir d’ocre naturelle pour symboliser leur lien avec les esprits ancestraux. Ces peintures temporaires, souvent composées de lignes et de points, sont essentielles lors de rites comme le Corroboree”, qui célèbre la communauté et la spiritualité.

Exemple de peinture corporelle 

Mobirise




La peinture sur écorce, ou “bark painting”, est un art traditionnel qui consiste à appliquer de l’ocre naturelle sur des morceaux d’écorce, principalement d’eucalyptus. Ce support est particulièrement prisé dans les régions du nord de l’Australie.


Exemple de peinture sur écorce 

Mobirise


Les gravures sur pierre ou peinture rupestre incarnent une forme durable d’art aborigène. Elles servent à transmettre des récits et des symboles ancestraux à travers le temps. Parmi les exemples célèbres figurent les gravures rupestres de Kakadu, dans le Territoire du Nord, ou les pétroglyphes de Murujuga, qui évoquent des scènes de la vie spirituelle et quotidienne des Aborigènes.

Peinture rupestre représentant le rêve

Mobirise
Pour les aborigènes, la peinture est avant tout un art collectif, chaque œuvre appartient donc à la communauté et pas uniquement au peintre. C’est pour cette raison que de nombreuses toiles ne sont pas signées par l’artiste.
• • • Le symbolisme dans l’art aborigène
 Les motifs et leurs significations





Dans l'art aborigène, chaque motif et forme revêt une signification profonde, souvent liée à la spiritualité et aux récits ancestraux. Par exemple :

- Les cercles symbolisent des campements ou des points d’eau.
- Les lignes sinueuses représentent des chemins ou des rivières.
- Les motifs géométriques ou figuratifs évoquent des totems spécifiques, en lien avec les ancêtres ou les esprits.


Significations des motifs

Mobirise

Une des techniques les plus emblématiques de cet art est le pointillisme. Elle consiste à réaliser une série de points serrés qui, bien qu’alignés, ne se mélangent pas. On retrouve cette méthode dans certaines peintures rupestres, mais également dans les peintures éphémères sur sol, réalisées lors de cérémonies rituelles.

Le pointillisme, tel qu’on le connaît aujourd’hui sur les peintures sur toile, aurait vu le jour à Papunya. Lorsque les Aborigènes ont compris que leurs œuvres, portant des récits sacrés, seraient exposées à des « non-initiés », ils auraient adopté cette technique pour dissimuler les motifs sacrés. En floutant les détails, ils préservaient le caractère secret et spirituel de leur art, ne laissant apparaître que les éléments accessibles à tous.

Une peinture de plusieurs points d’eau reliés

Mobirise

Outre son rôle symbolique, le pointillisme possède également une fonction esthétique importante. Il permet de densifier les motifs, de combler les espaces vides et de donner une dimension visuellement captivante aux œuvres.

Les couleurs et leur importance

Les quatre couleurs sacrées, héritées du Temps du Rêve, sont le blanc, le noir, le rouge et le jaune, chacune portant une signification profonde. Le blanc incarne la présence des esprits, tandis que le noir représente le peuple aborigène. Le rouge et le jaune, quant à eux, sont étroitement liés à la nature.

Le rouge symbolise la terre rouge et joue un rôle central dans les cérémonies, où les Aborigènes se peignent le corps avec de l’ocre rouge pour exprimer leur connexion profonde à la terre. Cette teinte, souvent accompagnée d’orange et de brun dans les œuvres d’art, évoque ce lien indissociable entre les Aborigènes et leur environnement. Le jaune, au cœur du drapeau aborigène, représente le soleil, source de vie et de protection. Cette couleur, porteuse de vitalité, est également essentielle dans l’art aborigène, où elle renforce le lien spirituel avec le monde naturel.

               Peinture aborigène des communautés Anangu / Drapeau Aboriègne

• • • L'art aborigène : reconnaissance et revendication sur la scène internationale
Une reconnaissance artistique mondiale

Depuis les années 1970, l’art aborigène a connu un véritable essor sur la scène internationale, grâce notamment à la création de la coopérative artistique Papunya Tula dans le désert du Territoire du Nord. Cette initiative a permis de promouvoir la peinture aborigène contemporaine et de susciter un intérêt croissant pour cette forme d’art unique.

Aujourd’hui, l’art aborigène est présent dans de nombreux musées à travers le monde, notamment en Australie, où il occupe une place de choix dans les collections permanentes. Le Musée d’art aborigène et du détroit de Torres à Sydney, le Musée national de l’Australie à Canberra ou encore le Musée et galerie d’art du Territoire du Nord à Darwin sont autant de lieux où l’on peut admirer ces œuvres fascinantes.

En dehors de l’Australie, l’art aborigène est également présent dans des institutions telles que l’Aboriginal Signature à Bruxelles ou le Musée des cultures océaniennes à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.

L’art comme outil de revendication sociale

Pendant des décennies, les Aborigènes ont été exclus des droits fondamentaux. Ce n’est qu’en 1967 qu’un référendum leur a accordé la pleine citoyenneté en Australie. Pourtant, les inégalités en matière de santé, d’éducation, de logement et d’emploi persistent, alimentant leur marginalisation et renforçant les stéréotypes négatifs.

C’est pour cela que l'art aborigène est un outil de revendication sociale et politique. Historiquement, les Aborigènes ont utilisé leur art pour affirmer leurs droits territoriaux et culturels face aux politiques coloniales. Par exemple, en 1971, le mouvement artistique de Papunya a vu des artistes reproduire des motifs du Temps du Rêve sur des toiles, non seulement pour préserver leur patrimoine, mais aussi pour revendiquer la reconnaissance de leurs terres ancestrales.

De plus, des collectifs contemporains tels que proppaNOW, fondé en 2003, utilisent l'art pour contester les stéréotypes culturels et donner une voix aux artistes urbains aborigènes, renforçant ainsi la visibilité et la compréhension des enjeux sociaux auxquels leurs communautés sont confrontées.

Ainsi, l'art aborigène sert de vecteur essentiel pour la transmission des messages de résistance, de résilience et de revendication identitaire.

Collectif proppaNOW

Mobirise
• • • Les artistes contemporains de l’art aborigène 

L'art aborigène contemporain est porté par des artistes qui allient traditions ancestrales et expressions modernes, contribuant ainsi à la reconnaissance internationale de cette culture millénaire. Parmis eux : 

Emily Kame Kngwarreye (1910-1996) est une figure emblématique. Originaire d’Utopia, elle a commencé à peindre à un âge avancé mais a produit plus de 3 000 œuvres en seulement huit ans. Ses peintures abstraites, souvent inspirées du Temps du Rêve et des cycles naturels, témoignent de son lien profond avec sa terre ancestrale.

Emily Kame Kngwarreye / Emu-Woman, Musée national d'Australie

Vincent Namatjira, arrière-petit-fils d’Albert Namatjira, est une figure marquante de l’art contemporain aborigène. En 2020, il est devenu le premier artiste aborigène à remporter l’Archibald Prize, une distinction prestigieuse, pour son portrait "Stand Strong for Who You Are". Ses œuvres, mêlant humour et critique sociale, abordent les défis modernes auxquels font face les peuples autochtones.

Vincent Namatjira / Stay strong for who you are, Art Gallery NSW

John Mawurndjul, maître de la peinture sur écorce, est célèbre pour son usage innovant du rarrk, une technique de hachures croisées traditionnelle. Ses œuvres explorent les récits spirituels et les paysages de sa région natale en Arnhem Land. Ses créations ont été exposées dans des musées de renom, notamment au Musée du quai Branly à Paris.

John Mawurndjul /  Peinture sur écorce, Gallerie Aborigène, Australie

• • • Mot de la fin 

L’art aborigène australien, témoin d’une des cultures les plus anciennes du monde, continue de fasciner et de s’imposer sur la scène internationale. Enraciné dans une spiritualité profonde et dans le lien indissociable entre l’homme et la nature, il est bien plus qu’une forme d’expression esthétique : il est une mémoire vivante, un langage codifié et une revendication identitaire

De ses manifestations ancestrales à sa réinvention contemporaine par des artistes de renom, cet art reflète à la fois la résilience et la créativité d’un peuple longtemps marginalisé. Aujourd’hui, l’art aborigène joue un rôle clé dans la reconnaissance des droits des peuples autochtones, tout en continuant à émerveiller et à transmettre les récits intemporels du Temps du Rêve.

The Art Cycle met en lumière un artiste dont le travail réunit des techniques similaires de l'art aborigène. Il s'agit de Chanéac, qui explore des formes géométriques dans ses créations.

PARTAGEZ CET ARTICLE !