Mathilde Basse - 11 Décembre 2025
Artiste peintre et comédienne, Corinne Sebbagh incarne la liberté créative dans toute sa splendeur. Formée aux Arts appliqués de Paris et au prestigieux Cours Simon (école de théâtre), elle articule son travail entre deux pôles artistiques complémentaires : la toile et la scène. Depuis son retour à la peinture en 2011, cette artiste au parcours atypique développe un style qu'elle définit elle-même comme "l'abstraction joyeuse et lyrique". À travers des couleurs vives projetées par mouvements rythmés, Corinne révèle l'autre côté du miroir, transformant les épreuves de la vie en œuvres lumineuses. Découvrez le parcours d’une créatrice qui refuse les conventions et fait de sa liberté sa signature artistique.
Dès le collège, Corinne Sebbagh manifeste des facilités remarquables pour le dessin et l'harmonie des couleurs. Son professeur de dessin, conscient de son potentiel, lui donne un conseil qui changera sa trajectoire : "Il m'a conseillé d'aller suivre les cours des Arts appliqués de Paris en cours du soir ", se souvient-elle.
Cette recommandation n'était pas anodine. À cette époque, les Arts appliqués de Paris (aujourd'hui École Duperré), représentaient une institution prestigieuse pour les jeunes talents artistiques. Corinne y passe trois années déterminantes, explorant une multitude de techniques : peinture à l'huile, peinture à l'eau, encre, dessin graphite, fusain et sanguine.
École des Arts appliqués de Paris (aujourd’hui Duperré à Paris)
Parallèlement à sa formation plastique, une autre passion germe au lycée Lamartine. Sa professeure de français joue un rôle déterminant en l'encourageant à écrire et à se lancer dans le théâtre. C'est elle qui lui confie le rôle principal dans leur mise en scène des “Fourberies de Scapin”, un spectacle monté avec enthousiasme pour le lycée au profit d'une œuvre caritative.
Cette double vocation artistique ne représente pas une contradiction, mais bien une complémentarité. "Pratiquer les arts et toutes ces activités créatives me faisait énormément de bien. Je me sentais libre, sans personne pour m'imposer quoi que ce soit. C'était une façon de me libérer de mon milieu d'origine", explique-t-elle.
Cette quête de liberté deviendra le fil conducteur de toute son œuvre.
Déterminée à approfondir son art dramatique, Corinne intègre le mythique Cours Simon. Cette institution parisienne, qui a vu passer des générations de comédiens français, lui offre une formation solide et exigeante.
Mais Corinne ne s'arrête pas là. Elle poursuit son apprentissage dans le cours tenu par Véra Gregh, qui perpétuait l'héritage de Tania Balachova, figure majeure de la pédagogie théâtrale en France.
Forte de cette formation, elle ne tarde pas à passer à l'acte créatif en se lançant dans le one-woman show. "J'ai créé ma propre pièce avec un copain et je la jouais seule pour prouver que je maîtrisais l'art du théâtre", explique-t-elle. Dès sa sortie du Cours Simon, elle trouve une salle, monte son spectacle et réussit à faire venir du public. Cette période d'apprentissage lui enseigne une leçon essentielle sur l'acceptation de l'échec : " Des fois, j'ai raté, des fois, j'ai réussi ”; une philosophie qui nourrira plus tard sa résilience artistique.
En 2011, après avoir créé plusieurs spectacles sarcastiques et humoristiques, Corinne revient aux arts plastiques par un chemin détourné. Travaillant au ministère des Finances pour subvenir à ses besoins, elle découvre qu'il existe un atelier de peinture au sein même de l'institution.
Un collègue, conscient de ses multiples talents artistiques entre théâtre et arts visuels, l'encourage à rejoindre cet atelier animé par une artiste professionnelle.
“Voyage en Italie” de Corinne Sebbagh
Corinne saisit cette opportunité et s'y inscrit. L'atelier est animé par une artiste professionnelle dont l'enseignement de qualité lui permet rapidement d'exposer ses œuvres, notamment à la mairie du septième arrondissement et dans plusieurs autres lieux parisiens.
Cette expérience au Louvre se révèle transformatrice, notamment grâce à un enseignant hors normes. Ce professeur atypique organise des week-ends de création à l'extérieur de Paris, propose des exercices audacieux dans les salles du musée et encourage ses élèves à expérimenter sans contrainte. Sa pédagogie encourage la spontanéité et la liberté créative : tableaux réalisés avec une ou deux couleurs seulement, croquis de passants sur le vif, absence totale de règles académiques.
Lorsqu'on interroge Corinne sur ses thèmes de prédilection, elle évoque sans détour l'univers de la fracture, la nature, le mouvement et son ressenti immédiat. Elle reste intensément concentrée pour extraire quelque chose d'authentique d'elle-même.
Cette notion de "fracture" est centrale dans son œuvre. Il ne s'agit pas de représenter la cassure elle-même, mais bien de révéler ce qu'elle cache, de transformer l'adversité en beauté. Corinne est profondément animée par un besoin essentiel : "révéler l'autre côté du miroir, offrir une métamorphose, une réponse positive aux évènements de la vie afin d'atteindre le bonheur".
“Cool Colors” / “Les 3 chemins” de Corinne Sebbagh
Un événement tragique va cristalliser cette philosophie artistique. La maladie d'Alzheimer de sa mère représente un tournant décisif dans sa création. Malgré une relation parfois difficile, cette épreuve bouleverse profondément Corinne et l'oblige à traverser l'horreur de perdre progressivement un être cher.
Face à cette douleur, la peinture devient un exutoire salvateur. "J'ai voulu me libérer, faire des choses jolies qui sont vraiment imprégnées de moi, pas copiées. C'était mon cheval de bataille pour sortir de la crise", confie-t-elle avec émotion.
Alors qu'elle évoluait auparavant dans l'univers du comique et de l'humour, cette période marque une clarification radicale de sa démarche artistique. Cette volonté de créer de la beauté malgré la douleur définit l'essence même de son travail. L'art devient résilience, transformation, alchimie du négatif en positif.
Le processus créatif de Corinne Sebbagh est tout sauf conventionnel. Elle distingue clairement la préparation mentale de l'acte créatif lui-même : avant de peindre, c'est d'abord sa concentration qui s'enclenche. Sa méthode repose entièrement sur l'instinct. Elle choisit ses couleurs spontanément ; du jaune, du rouge, du bleu; sans utiliser toute sa palette, puis pose son chevalet et commence à travailler la toile.
Une fois lancée, Corinne entre dans un état second, proche du flow décrit par les psychologues. "Je peux dire que je suis ailleurs, faut pas m'interrompre.” Elle compose une palette de couleurs pures et vives, qu'elle projette sur la toile par des mouvements rythmés. L'intensité physique et émotionnelle de cette pratique la laisse épuisée à l'issue de chaque séance.
Corinne Sebbagh dans son atelier
La spontanéité caractérise également sa gestuelle. Elle utilise indifféremment pinceaux, triangles, ou même directement ses mains, tout ce qu'elle a sous la main devient outil créatif. Cette liberté d'action, cette absence totale de contrainte technique, reflète parfaitement sa philosophie de vie et d'art. La musique joue également un rôle important dans son processus, créant l'atmosphère propice à l'émergence de l'œuvre et parfois même des titres. C'est ainsi qu'est né "Au Pays d'Alice", inspiré par une forme évoquant des oreilles de lapin aperçues pendant la création.
"Au Pays d'Alice" de Corinne Sebbagh
Corinne Sebbagh maîtrise une palette technique impressionnante : huile, acrylique, aquarelle, pastels gras, encre, et même un feutre à l'huile. Elle a notamment réalisé une toile entièrement au feutre à l'huile, démontrant sa capacité à explorer des outils inhabituels.
Contrairement à certains artistes qui planifient méticuleusement leur choix de médium, Corinne laisse l'urgence créative décider. Le temps disponible détermine sa technique : l'aquarelle pour les créations rapides, l'acrylique ou l'huile quand elle dispose de plus de temps. Cette liberté de mélanger les techniques, de transgresser les règles académiques, participe pleinement de son style.
Corinne évoque des plaisirs intenses qu'elle éprouve dans cet état unique et solitaire de la création. Peindre, c'est exister pleinement, sans contraintes ni jugements, dans une bulle créative où elle peut être entièrement elle-même.
Elle cherche à créer de la complexité pour se faire plaisir, refusant l'ordinaire au profit de l'extraordinaire. "J'y arrive et ça plaît à quelques personnes et ça me suffit", explique-t-elle.
“Balade” de Corinne Sebbagh
Après toutes ces années d'allers-retours entre théâtre et peinture, d'explorations techniques et thématiques, Corinne a trouvé les mots justes pour définir son style : l'abstraction joyeuse et lyrique. Cette formule synthétise parfaitement son travail : l'abstraction pour explorer formes, couleurs et mouvements sans représentation figurative ; joyeuse car elle célèbre la vie, la lumière, l'évasion malgré les épreuves ; lyrique car sa peinture chante, vibre, exprime des émotions intenses dans un élan poétique.
Au fil des années, Corinne a développé une capacité remarquable à se protéger des influences négatives. "Je ne traîne pas les toxiques, je ne traîne pas les mauvaises intentions des autres. Je ne tiens pas compte des remarques désagréables. Foutez-moi la paix, je fais ce que je veux. Je ne vous embête pas ", affirme-t-elle avec franchise.
Cette indépendance farouche lui permet de préserver son authenticité créative. Elle a appris à ignorer les critiques, consciente qu'il y aura toujours des réserves sur son travail. Cette sagesse, loin d'être de l'arrogance, témoigne d'une maturité artistique et personnelle durement acquise, fruit d'un long cheminement vers la liberté.
"Liberté, évasion, rêverie."
Elle a rejoint The Art Cycle en 2021, une collaboration qui lui a permis de faire de nouvelles rencontres et de bénéficier de l'accompagnement attentif et bienveillant de Julie, fondatrice de la galerie.
Corinne Sebbagh incarne une forme rare de liberté artistique. À travers son abstraction joyeuse et lyrique, elle transforme les fractures de l'existence en œuvres lumineuses, offrant au spectateur cette métamorphose qu'elle recherche elle-même dans la création.
Son parcours témoigne d'une curiosité insatiable : du théâtre à la peinture, des Arts appliqués au Louvre, du Cours Simon au ministère des Finances, et même un CAP de pâtisserie obtenu à quarante-deux ans. Cette capacité à se réinventer constamment nourrit sa créativité.
"Foutez-moi la paix, je fais ce que je veux. Je ne vous embête pas" : cette déclaration pourrait servir de manifeste à une génération d'artistes refusant de se soumettre aux diktats du marché de l'art. Corinne nous rappelle que l'art véritable naît de cette liberté fondamentale, de cette capacité à rester soi-même envers et contre tout.
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