Mathilde Cano - 26 juin 2025
Stella Polare dans son atelier
Stella Polare, nom d'artiste qui signifie étoile polaire, nous invite dans un univers artistique où la matière devient le langage privilégié de l'émotion. Entre peintures énergiques et créations en relief, cette artiste franco-ouzbèke explore les profondeurs de l'expérience humaine à travers des techniques innovantes. Le temps et l’émotion deviennent alors les fils conducteurs de sa démarche artistique
Découvrez le parcours et l’univers de Stella Polare, où se croisent influences, émotions et expériences, pour dessiner un art en mouvement, engagé et profondément personnel.
Economiste de formation en Ouzbékistan, elle poursuit ses études en management de projets en France, avant de travailler pendant sept ans dans l’industrie pharmaceutique, puis en oncologie pédiatrique. Cette expérience lui donne envie de changer de voie pour donner un nouveau sens à son travail : « C’est comme ça que j’ai changé mon métier. Je suis devenue artiste parce qu’en voyant les enfants malades […] ça m’a appris à apprécier le moment ».
Dans sa famille de médecins et durant ses études de coordination de soins dans le domaine de la santé, le dessin était un « outil ». Ainsi, elle a toujours dessiné, gribouillé, fait des schémas, mais sans envisager que cela devienne le cœur de son métier : « on dessine tous. Je suis convaincue qu’on est un petit peu tous créateurs d’un tel ou tel domaine ». Pour elle, tout le monde est créateur à sa manière, en organisant des fêtes familiales et en imaginant un schéma de table par exemple.
En somme, son parcours artistique s’est d’abord placé du côté de la rigueur économique et médicale avant de devenir un véritable besoin pour exprimer ses émotions et interrogations. En effet, elle confie qu’une introspection permanente constitue le moteur de son développement artistique : « je pense qu'il faut avoir du recul pour se rendre compte des différentes expériences que l’on vit ».
Stella Polare accorde une grande importance au dialogue entre ses racines ouzbèkes et ses expériences françaises. Ce rapport est particulièrement sensible dans sa réflexion sur le temps et le quotidien, qu’elle observe à travers le prisme de ses deux cultures. « Ce que j'aime bien dans cette double culture, c'est que tu peux observer le quotidien […] Ça peut être les mots, ça peut être la façon de consommer certaines choses et surtout de passer le temps. » En France, elle s’émerveille de la culture du vin, de l’art de maturer et d’affiner, de la dégustation, de cette manière de prendre du bon temps.
Interrogée sur son univers artistique, Stella Polare répond sans hésitation : « Je pense que c'est le temps, c'est-à-dire le temps dans le sens très large, le moment, tout ce qui est relatif au temps ». Cette obsession temporelle traverse l'ensemble de son œuvre, offrant une grille de lecture cohérente à sa production.
Oeuvres de Stella Polare dans son atelier
Dans sa pratique artistique, elle revendique un héritage technique mixte : « Ce que j’apprécie aussi chez les Français, c’est la méthode, la recherche, le travail autour, et ce que j’apprécie dans l’approche ouzbèke, c’est que c’est beaucoup plus intuitif ». Selon elle, l’artiste contemporain doit pouvoir naviguer entre ces deux pôles : laisser les émotions guider la création, tout en s’appuyant au besoin sur une démarche plus « cartésienne ».
Enfin, elle aime utiliser des tissus traditionnels ouzbeks pour créer des foulards, poursuivant ainsi ce dialogue entre ses deux cultures dans la matière même de ses œuvres.
Ce dialogue culturel se matérialise également dans ses œuvres, notamment avec la lettre H qui est « souvent muette, pourtant dans le pays des droits de l’homme c’est la première lettre des mots Homme, Honneur, et c’est la seule lettre qui vit vraiment la vie très déshonorée et très inhumaine ». Elle va jusqu’à écrire à l’Académie française pour défendre le « statut de la lettre H », et y consacre une série de peintures et une exposition au Palais Jacques Cœeur : « J’invitais tout le monde à marcher sur le H, pour montrer, qu’il y a encore ,dans des pays différents, des moments où l’on marche, l’on piétine sur les droits de l’Homme ».
Photo prise par Stella Polare
lors de son exposition au Palais Jacques Coeur
Au-delà de ce dialogue culturel et d’une réflexion sur le temps, Stella Polare traite d’autres thématiques au travers de ses œuvres à commencer par l’enfance. Son travail explore donc beaucoup les rêves et pensées des enfants qui sont décédés du cancer, la mémoire et la mort.
Une autre dimension et parmi les plus puissantes du travail de Stella Polare réside dans son traitement des questions liées à la maternité. Cette expérience a en effet constitué un tournant majeur dans son évolution artistique et a ouvert de nouveaux territoires créatifs. Par exemple, l'artiste aborde frontalement des sujets encore tabous : « la mère, avant que son bébé ait 4 mois, peut parcourir la dépression et dans certaines cultures, c'est sous-estimé ». L’instinct maternel, « tous les concepts sociaux des mères méridionales, des mères romantiques » est pour elle à démystifier.
Oeuvres de sa série Instinct Maternel : « Instinct Maternel N11» et « Instinct Maternel N14 »
Son engagement artistique se nourrit d'une expérience personnelle authentique : « lorsque j’ai des pensées assez sombres, j’en parle, car je me dis que cela pourrait peut-être encourager d’autres à s’exprimer aussi », révélant une connaissance intime de la dépression post-partum.
Stella Polare inscrit délibérément son travail dans une démarche féministe, s'inspirant de figures emblématiques : « dans ces œuvres-là très féministes, je pense au « Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir, je pense aussi au « Trouble dans le genre » de Judith Butler, à « Maman » de Louise Bourgeois, à « Post-Partum Document » de Mary Kelly et à « La mère suffisamment bonne » de Donald Winnicott ». Cette filiation revendiquée ancre son art dans une tradition de questionnement social et politique.
Figures féministes qui inspirent Stella Polare
L'artiste développe une véritable philosophie de la négociation créative : « c'est toujours la négociation entre le cœur et la raison ». Cette tension permanente entre intuition et pragmatisme nourrit la richesse de ses œuvres.
Aussi, elle reconnaît que « le dessin n'est pas suffisant pour parler de certaines choses, la peinture elle n'est pas assez forte pour parler des messages ou des choses que je vis ou des questions que je veux reposer à la société ». Cette prise de conscience l'a menée vers des techniques plus expressives, capables de traduire la complexité de ses questionnements sociétaux.
C’est ainsi qu’elle travaille le dessin, la peinture à l’huile, l’acrylique, l’encre de Chine mais également le papier déchiré, la photographie et même l’art culinaire pour s’exprimer. Beaucoup de ses œuvres sont très texturées, colorées et lumineuses : « je cherche à lâcher prise, mais j’ai aussi besoin d’espoir dans ce que je fais. C’est pourquoi la lumière, que je trouve dans les couleurs ou les textures, compte beaucoup pour moi ».
Multiplicité des supports dans son atelier
Oeuvres de sa série : « Urgence de Joie » : « Urgence de Joie 3 » et « Urgence de Joie 7 ».
Pour la série « Urgence de Joie », Stella Polare travaille sans croquis, privilégiant le geste et le lâcher-prise. « Je prends l'émotion initiale qui est en moi comme matière à part entière et même dans les autres projets c’est l’émotion qui prime dans mon approche et mon attitude ».
Son outil indispensable devient alors la couleur, appliquée en couches qui se superposent : « J’utilise beaucoup d’huile et, au fur et à mesure, des textures se créent […] c’est ça qui apporte de la profondeur ».
Boîte à peinture de Stella Polare et œuvre « C'est pour quand N1 ».
Pour résumer son univers, elle fait notamment référence à la joie : « parce que c'est le sujet qui peut être abordé de différentes manières et c'est par ça que j’ai commencé […] et c'est pour la joie des autres que je crée également ».
Par ailleurs, sa série « Émotions » se distingue par une approche technique particulièrement innovante. L'artiste établit une distinction fondamentale entre deux méthodes de création : dans un cas elle superpose les couches de couleurs alors que dans l’autre elle cherche elle-même la profondeur en arrachant le papier dans un « geste plus libre ». Cette dualité technique reflète la richesse de son approche artistique, capable d'adapter sa méthode à l'émotion qu'elle souhaite transmettre.
Technique du papier déchiré - œuvre issue de la série « L'Instinct Maternel ».
Le temps, la joie et la couleur.
La collaboration de Stella Polare avec The Art Cycle datant de 2020 s'est révélée particulièrement enrichissante. L’originalité de sa technique a beaucoup plu à The Art Cycle, qui a ainsi reconnu l’unicité de son travail et confirmé la valeur de ses recherches artistiques.
Au-delà de la reconnaissance technique, cette collaboration apporte une dimension essentielle : « évidemment en visibilité, quand tu crées quelque chose et ça trouve l'écho dans le cœur des autres, moi je trouve que c'est chouette ». Cette résonance avec le public constitue un élément fondamental de l'épanouissement artistique.
Stella Polare nous offre un art profondément ancré dans l'expérience humaine, où la technique se met au service de l'émotion et de la réflexion sociale. Son univers artistique, défini par le temps et nourri par les questionnements féminins, propose une vision authentique et engagée de la création contemporaine.
Entre relief et profondeur, construction et déconstruction, son travail invite à une exploration sensible des strates de l'existence. L'art devient alors un langage universel, capable de créer des ponts entre les expériences individuelles et les questionnements collectifs.
Découvrez l'univers de Stella Polare et d'autres artistes contemporains sur notre galerie en ligne, où chaque œuvre raconte une histoire unique et invite à la contemplation.
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